Le Christ du Château de Villacerf
2017
Malgré qu’il ait été pris dans la tourmente révolutionnaire ce Christ attesté au XVIIIe siècle au Château de Villacerf a été préservé grâce à l’attachement sans faille que lui ont manifesté ses propriétaires successifs.
C'est Marie Amélie de Bavière, Comtesse de Hohenfels, Marquise de Villacerf, qui est à l'origine de ce Christ.
Son père, Emmanuel François Joseph, Comte de Bavière, Grand d’Espagne de la première classe, a acquis en 1738 le Château de Villacerf, district de Troyes, où il résidait avec son épouse Marie Josèphe, Comtesse de Hohenfels , tous deux respectivement fils illégitime de l'électeur Maximilien Emmanuel de Bavière et fille légitime de l'Empereur des romains Charles VII, fils légitime du même électeur Maximilien Emmanuel de Bavière.
Emmanuel François Joseph, Ambassadeur du Roi de France près Charles VII, était en mission à Munich en 1744 avec son épouse lorsque survint la naissance de leur fille Marie Amélie.
En 1761, Marie Amélie âgée de 17 ans épousa le marquis Armand Charles Emmanuel de Hautefort âgée de 20 ans mais les jeunes époux se séparèrent presque immédiatement !
Marie Amélie de Bavière n’eût pas d’enfant et jusqu’à la révolution française elle vécut au Château de Villacerf avec sa mère.
Chaque année, toutes deux faisaient un voyage en Bavière dans la région de Munich où elles recevaient une rente importante. C’est au retour d’un de ses nombreux déplacements dans cette province du Saint-Empire romain-germanique que Marie Amélie rapporta un Crucifix qu’elle plaça dans sa chambre à coucher du Château de Villacerf. Il y demeura de nombreuses années avant que l’Abbé SAGET, son aumonier, le fit transférer dans la Chapelle.
Lorsque la révolution éclata, se sentant menacées, Marie Amélie de Bavière et sa mère allèrent trouver refuge en Bavière.
Abusivement car elles étaient toutes deux de nationalité étrangère, leurs bâtiments et leurs biens furent saisis dans le cadre des lois sur les émigrés et sur ordre du Directoire du District de Troyes, les effets mobiliers et meubles meublans qu'elles possédaient dans le Château de Villacerf furent mis en vente le 10 juin 1793 au profit de la Nation.
Le Crucifix que Marie-Amélie avait rapporté de Bavière faisait partie des biens vendus. Il fût acquis par le sieur Clément FENARD habitant la commune de Pouan-Les-Vallées, une commune distante de 20 kilomètres de Villacerf.
Au fil des héritages, le Crucifix fût transmis à la famille BONNET implantée à Vaupoisson, une commune distante de 13 kilomètres de Pouan-Les-Vallées et il parvint en 1858 entre les mains de Mr CHAMOIS ancien notaire qui avait exercé sa charge à Chavanges, une commune située dans l'arrondissement d'Arcis.
Extrait de l'Annuaire administratif, statistique et commercial du département de l'Aube - Année 1856 -
C’est grâce à Mr CHAMOIS qu’on connait parfaitement l’origine du Crucifix.
Lorsqu’il en hérita de la famille BONNET il eût à coeur de réunir les éléments matériels qui prouvaient qu'il s'agissait bien du Crucifix que la Comtesse de Villacerf avait rapporté de Bavière et placé dans sa chambre à coucher de son Château de Villacerf. Il diligenta une enquête conduite par un Employé de la préfecture de l’Aube et par le Maire de la commune de Villacerf.
Au cours de son enquête Le Maire de la commune de Villacerf a recueilli le témoignage de la veuve GUILLOT qui avait fréquenté le Château de Villacerf dès sa prime jeunesse. Le 24 octobre 1858 il adresse une correspondance à Mr CHAMOIS Propriétaire à Chavanges où il écrit « C’est ainsi que la veuve Guillot m’a déclaré, en présence de Mr Mathias, avoir vu bien des fois dans son jeune âge, le Crucifix de Mme d’Hautefort qui était désigné parmi les gens du Château et dans le village, sous le nom de « beau Crucifix de Mme la Comtesse » dans la chambre de qui il était resté à côté du portrait de Mr le Comte d’Hautefort jusqu’à ce que Mr l’abbé Saget, aumonier de Mme d’Hautefort lui a fait transporter dans la chapelle du Château.
La veuve Guillot nous a assuré avoir appris de la bouche même de Mme la Comtesse que le Christ avait été rapporté par elle de Bavière dans un de ses derniers voyages et qu’elle y attachait une très grande importance.
Elle se rappelle parfaitement la couleur jaune du bois, le velours violet et le cadre cintré et doré dans lequel il se trouvait »
Elle se rappelle parfaitement la couleur jaune du bois, le velours violet et le cadre cintré et doré dans lequel il se trouvait »
Extrait de la correspondance adressée par le Maire de la commune de Villacerf le 24 octobre 1858 à Mr Chamois propriétaire du Crucifix
Un inventaire antérieur à 1791, conservé dans les Archives de l’Aube, dresse la liste des biens meublants le Château de Villacerf et confirme la présence dans la chambre de Mme de HAUTEFORT d' Un crucifix à cadre doré velours violet.
Extrait conforme de l'Etat des meubles qui étaient dans les appartements du Château de Villacerf
Fort des pièces qu'il avait réunies prouvant qu'il détenait bien le Crucifix qui avait orné la chambre de Marie Amélie de Bavière au Château de Villacerf Mr CHAMOIS préta le Crucifix à une grande exposition qui s’ouvrît à Troyes le 1er août 1864 dans la salle du synode à l’évêché et dans les salles du musée.
S'affichant sous le N°414, il fût un des objets d’art les plus remarqués de l’exposition.
Extrait du Caalogue des Objets d'Art anciens exposés à l'Évéché et au Musée de Troyes le 1er Août 1864
Dans son édition du mercredi 24 août 1864, le journal Le Napoléonien consacre une colonne entière au Christ de Villacerf. L’auteur de l’article, l’historien et écrivain Albert MAURIN ne masque pas son enthousiasme et écrit « Au milieu des richesses de l’exposition de la salle du Synode, il brille d’un éclat incomparable, et nous n’hésitons pas à dire que le Christ de Villacerf est un des plus précieux spécimens de sculpture que nous ayons vus, non seulement en France, mais encore en Belgique, où cette branche de l’art a compté d’illustres maitres. »
A son tour Mr CHAMOIS s'est éteint et le 18 juin 1903 Me GRIGNARD, Commissaire Priseur à Troyes, procéda à la vente DROUOT, du nom d’un parent de Mr CHAMOIS, dans laquelle figurait le Crucifix. Contre la somme de 605 francs frais inclus il entra dans le patrimoine d'une Famille troyenne qui l'a conservé pendant tout le XXème siècle et jusqu'à nos jours.
Ce qui est exceptionnel dans le parcours de ce Crucifix est que tous ses Propriétaires depuis sa vente en 1793 ont conservé et transmis à leurs héritiers l’intégralité des éléments matériels qu’ils ont détenus, minutes d’archives, écrits, journaux, facture préservant ainsi son historicité.
Je vous propose à présent de découvrir ce Crucifix sous tous ses aspects
« Le beau Crucifix de Mme la Comtesse »
"Le beau Crucifix de Madame la Comtesse" c'est ainsi que le Personnel employé au Château de Villacerf désignait le Crucifix que la Comtesse Marie Amélie de Bavière avait rapporté d'un de ses voyages en Bavière.
Dans l’inventaire de 1791 il est noté "Crucifix à cadre doré velours violet" et la veuve GUILLOT évoque " la couleur jaune du bois ".
Cette dernière information est intéressante car elle signifie que lorsque la Comtesse Marie Amélie de Bavière a rapporté le Crucifix de Bavière, le bois du Christ se présentait sous sa couleur naturelle. Aujourd’hui le bois du Christ apparaît de couleur relativement foncée due à l’effet d’assombrissement du bois avec le temps ou peut-être a-t-il été mis en teinte par un de ses propriétaires.
Une brisure récente au niveau de l'index de la main gauche du Christ révèle la couleur claire d’origine du bois utilisé.
Une Croix en noyer a remplacé la Crois d’origine dont les extrémités se logeaient sous la bordure du cadre et un velours de couleur vert clair a remplacé le velours violet décrit dans l'inventaire de 1791.
Le cadre en bois doré est richement ouvragé. Entièrement sculpté à la main le répertoire ornemental est d’une grande diversité. La bordure principale en fort relief alterne les feuilles et les fruits du chêne, les feuilles et les fruits du laurier, des fleurettes sur un coussin de feuilles. Les autres bordures mettent en scène d'autres feuilles, des fleurettes, des arabesques etc.
Le cadre a bien résisté aux agressions du temps. Il conserve l’essentiel de sa dorure d’origine entièrement réalisée à la feuille d’or.
La veuve GUILLOT, introduite très jeune dans le cercle intime de la Comtesse de Bavière, a témoigné que "bien des fois" Mme la Comtesse lui avait dit qu'elle avait rapporté le Crucifix de Bavière.
Le Christ du Château de Villacerf pourrait donc être originaire de la Bavière ce qui n'aurait rien d'étonnant quand on sait que cette province du Saint-Empire romain germanique restée fidèle à l'église catholique a vu naître de grands Maîtres dans les domaines de la sculpture et de l'orfèvrerie. S'il ne fallait en citer qu'un seul pour le XVIIe siècle on citerait Georg PETEL (1601/1602-1634). Le sculpteur Andreas Faistenberger (1646-1735) s'est illustré au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle. Pour le XVIIIe siècle, on peut citer Johann Baptist Straub (1704-1784) ou Ignaz GÜNTHER (1725-1775).
Mais rien n'est moins sûre que la vraie patrie de production du Christ rapporté par la Comtesse de Bavière car il était de bon ton dans les cours européennes d'arborer l'art français dont le rayonnement était considérable depuis Louis XIV.
La Comtesse de Bavière n'a pas révélé à la veuve GUILLOT le nom de l'auteur du Christ.
Sans doute qu'elle l'ignorait.
A cela la raison est simple : Le Christ datant probablement de la fin du XVIIe siècle et ayant été acquis par la Comtesse de Bavière dans les années 1770-1780, soit un siècle plus tard, le nom du sculpteur s'est évanoui dans le temps.
La qualité plastique de ce Christ est absolument remarquable. Le sculpteur n'a pas ménagé ses efforts pour représenter chaque détail de l'anatomie du Christ. Un plan rapproché des pieds donne la mesure de son immense talent. Un talent qui s'exprime sans concession sur la totalité de la la sculpture :
" le beau Crucifix de Mme la Comtesse "