Un tableau-reliquaire préempté par l'Etat

Baiser de paix : “Tableau-reliquaire” émaillé : Christ en croix entouré d’instruments de la Passion

La vente organisée le samedi 06 Février 2016 à Alençon réservait une belle surprise. 

Un tableau-reliquaire attribué au XIVe siècle fût adjugé 450 000€ au marteau aussitôt préempté par l’Etat pour le Musée de Cluny.

Compte-rendu personnel du déroulement de la vente :

"L’avant-vente ayant été habilement médiatisée, les Acheteurs fortunés étaient au rendez-vous, au téléphone bien sûr pour ne pas être reconnus.

Une voix anonyme particulièrement motivée fît monter les enchères jusqu’à 450 000€ avant que ne retentisse le coup de marteau dans une Salle réduite au silence.

Le Prince, je veux dire un Représentant de l’Etat, plus riche que ses Sujets, s’est immédiatement manifesté et a préempté l’objet.

Dans la salle, les Contribuables ont applaudi à tout rompre, l’Etat venait de leur transférer solidairement une facture de 450 000€"

Suivent : 1-le descriptif du Catalogue 2-une interview de Me Biget réalisée pendant l’exposition  3-le live en différé de la Vente  4-des photos du tableau-reliquaire


DESCRIPTIF :

83 - Baiser de paix : “Tableau-reliquaire” émaillé : Christ en croix entouré d’instruments de la Passion. Émaux translucides sur argent de basse-taille, éléments organiques, gemmes et verre coloré. Paris, deuxième quart du quatorzième siècle. H. 17,5cm ; L. 12,8 cm (plaque émaillée : 14,2 x 9,2cm). Palette de l’émail : émaux translucides bleu saphir, vert amande, jaune ambré et violet ; émaux opaques rouge clair et noir. Inscription dans le ­phylactère “quociens/cumque/manducabitis/panem/hu(n)c/et/calicem/ bibetis/mortem/domini/an(n)unciabitis” (Toute les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez de ce calice vous annoncerez la mort du Seigneur. 1er épître de Paul aux corinthiens, 11-26/27) Poignée rapportée ultérieurement pour un usage en baiser de paix, quelques manques d’émail, quelques clous du cadre changés, quelques gemmes manquantes ou remplacées par du verre. Composition du métal et des émaux conforme aux techniques de la période (rapport d’analyse scientifique du laboratoire Re. S. Artes R142298A du 26-11-2015) - Emaux translucides sur argent de basse-taille : Le support d’argent est sculpté en très bas relief et recouvert partiellement ou totalement d’émail translucide qui laisse paraître le relief sous-jacent. Cette technique, réservée aux pièce d’orfèvrerie de grande valeur, trouve son origine en Toscane et particulièrement à Sienne a à fin du treizième ­siècle, elle se répand rapidement dans les ateliers des cours princières en France et en Rhénanie, en passant par la Cour pontificale d’Avignon pour perdurer pendant tout le quatorzième siècle, à la fin duquel elle disparaît pratiquement. Généralement exécutés sur des plaquettes de petite dimension et appliqués en ornement sur des objets liturgiques, on rencontre peu d’émaux sur basse- taille d’une telle dimension dans la production parisienne subsistante de nos jours ; d’une façon générale la plupart des émaux translucides sur argent sont conservés dans les collections publiques, peu d’exemples sont détenus en collections privées. Les pièces d’orfèvrerie émaillées sur argent furent produite en quantité ­relativement importante dans les ateliers parisiens du quatorzième siècle, comme dans le reste de l’Europe; Toutefois leur fonction de réserve ­métallique a condamné la très grande majorité de ces œuvres à la fonte quelques décennies seulement après leur création comme le montre ­l’exemple de la considérable collection de Louis d’Anjou qui envoya à la fonte la presque totalité de son orfèvrerie d’argent à la fonte en 1382 et 1384, pour financer ses campagnes militaires en Italie. L’iconographie de ce reliquaire présente le Christ en croix(périzonium émaillé vert amande, bandeau et traits émaillés noir, nimbe crucifère émaillé rouge, titulus émaillé violet) sur un fond gravé de rinceaux et émaillé bleu, entouré des instruments de la passion suivants : la colonne de la Flagellation, le fouet, les deux faisceaux de verges (traces d’émail ambré), la lance terminée par une éponge(traces d’émail ambré), le bassin(intérieur émaillé violet), la tunique du Christ (émail vert amande) le voile de Véronique(traces d’émail violet), le calice ou coule le sang de la plaie du Christ, et l’hostie. Ces deux derniers éléments indiquent, tout comme l’inscription dans un ­phylactère déroulé dans le haut, que ce reliquaire de thème eucharistique trouve sa place dans le culte du Saint Sacrement qui connaît un grand essor dans les premières décennies du quatorzième siècle : A la suite du miracle de Bolsena, ou un prêtre doutant de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie vit saigner l’hostie lors de la consécration, le Pape Urbain IV institua la fête du Saint Sacrement autrement appelée Fête Dieu en 1264. (la Cathédrale d’Orvieto conserve le reliquaire du Corporal de Bolsena, chef d’œuvre de l’émaillerie translucide sur argent en Italie). Après le concile de Vienne en 1311-1312 sous le pontificat de Clément V le culte de l’Eucharistie se répand dans toute la chrétienté latine. De part et d’autre de la croix se trouvent deux édicules à pinacles et gables émaillés en rouge, ajourés et contenant des reliques. Le pied de la Croix lui aussi ajouré conserve des traces de reliques, probablement fragments dits de la Vraie Croix qualifiant le reliquaire en “staurothèque” La plaque émaillée est entourée d’un encadrement orné d’une trentaine de quadrilobes ouverts constituant chacun un petit reliquaire. Entre les quadrilobes des gemmes sont montées en bâtes, principalement de petits rubis balais et saphirs (quelques pierres perdues remplacées par des cabochons de verre coloré. ) Les cinq quadrilobes de la partie inférieure sont pleins et pouvaient présenter des éléments d’applique aujourd’hui manquants. Les quatre quadrilobes d’angle, légèrement plus grands, sont ornés à jours. Le cadre est lui même bordé à l’intérieur et à l’extérieur d’une fine moulure à croisillons. Le revers de la plaque présente une poignée de section hexagonale, ajout tardif destiné à en faire un baiser de paix. La forme de cette poignée permet d’envisager son ajout au seizième ou dix-septième siècle. Parmi le nombre restreint de ces œuvres qui subsiste de nos jour, seul un calice conservé à Wipperfürth prés de Cologne, porte la signature d’un orfèvre parisien, Jehan de Toull (ou Touyl) dont le style des émaux est proche de notre tableau- reliquaire. Malgré quelques manques dans l’émail, l’état de conservation de ce reliquaire est remarquable ; En outre ses dimensions et sa qualité laissent supposer une commande princière. Le style magistral du Christ le place indubitablement dans l’entourage de Jean Pucelle, connu comme enlumineur majeur du quatorzième siècle, mais aussi comme orfèvre à la Cour de Charles IV et Jeanne d’Evreux. 

Références Bibliographiques : 

- M. M Gauthier, Émaux du moyen âge occidental, Fribourg, Office du Livre 1972 

- Cat. Exposition Les fastes du gothique, le siècle de Charles V, Paris RMN 1981 

- E. Taburet-Delahaye, L’orfèvrerie gothique au musée de Cluny, Paris RMN 1989 

- D. Gaborit-Chopin , The reliquary of Elisabeth of Hungary at the Cloisters, in The Cloisters, studies in honor of the fiftieth anniversary, New York,The Metropolitan Museum of Art. 1992 

- Ch. Descatoire, Trésors de la peste noire, Erfurt et Colmar, cat. Exposition MNMA, Paris, RMN 2006



 La video qui suit est au format webm. C'est une interview donnée par Me BIGET. Elle est également accessible au format mp4 sur le site de Francebleu à cette adresse L'interview de Patrice Biget




 La video qui suit est au format webm. C'est le live en différé de la vente du Tableau-reliquaire. Elle est également accessible au format mp4 sur le site de Ouest-France à cette adresse 

83 - Baiser de paix : “Tableau-reliquaire” émaillé : Christ en croix entouré d’instruments de la Passion
83 - Baiser de paix : “Tableau-reliquaire” émaillé : Christ en croix entouré d’instruments de la Passion
  • 83 - Baiser de paix : “Tableau-reliquaire” émaillé : Christ en croix entouré d’instruments de la Passion
  • Émaux translucides sur argent de basse-taille, éléments organiques, gemmes et verre coloré
  • Inscription dans le ­phylactère “quociens/cumque/manducabitis/panem/hu(n)c/et/calicem/ bibetis/mortem/domini/an(n)unciabitis
  • émaux translucides bleu saphir, vert amande, jaune ambré et violet ; émaux opaques rouge clair et noir
  • Inscription dans le ­phylactère “quociens/cumque/manducabitis/panem/hu(n)c/et/calicem/ bibetis/mortem/domini/an(n)unciabitis
  • Toute les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez de ce calice vous annoncerez la mort du Seigneur. 1er épître de Paul aux corinthiens, 11-26/27

Publié le 14 février 2016