Un brouillard d'Estimations et de Résultats

 
Si vous pensez que les Résultats de Ventes aux Enchères donnent une idée juste du prix d’une œuvre d’art : C'est parfois vrai, parfois ça ne l'est pas ! 

 Un bel exemple de brouillard d'Estimations et de Résultats d'enchères vient d'être répandu avec ce Modèle de Christ en bronze.

Christ en Bronze Modèle Florentin du XVIIe siècle


Ce Modèle de Christ en bronze a été mis en vente à Rennes le 19 octobre 2020. Il était estimé dans la fourchette 300€-500€ or Il a été adjugé 134 000€ au marteau soit plus de 300 fois son estimation.


Descriptif du Lot

Christ en bronze patiné, la tête penchée sur la gauche, le perizonium noué à droite - XVIIIe siècle (manque de matière à l'arrière) 

Haut. 32.5 cm


Estimation 300€-500€

Adjugé 134 000€ au marteau
Christ en bronze - XVIIIe siècle




J'avais commenté cette adjudication au montant pharaonique en ouverture de la publication des Cette adjudication avait  surpris et avait été abondamment commentée. Pour preuve cet article publié par la Gazette Drouot sur son site en partie accessible aux non-Abonnés.

Le même Modèle de Christ en bronze vient de passer en Vente à Versailles ce 26 novembre 2023. L'Expert qui présentait ce Christ n'étant pas ignorant du résultat de la vente du 18 octobre 2020 à Rennes a fourni un descriptif largement plus complet et plus juste que celui qui avait été fourni par la SVV Rennaise et accompagné évidemment d'une estimation très supérieure.

Le Résultat est que la Vente s'est soldée par un échec.

 Un Christ en bronze qui s'est vendu 134 000€ en 2020 ne trouve pas Preneur à 8 000€ en 2023 !


Lot N°65

École florentine du XVIIème siècle 

Christ de la Crucifixion de type ‘Cristo Vivo’ Figure en bronze à patine brune 

H. env. 32,7 cm fixé sur une tige métallique H. 35,7 cm

Provenance : 

- Ancienne collection du Château de Rosny appartenant à la duchesse de Berry 

Ancienne collection Tatistcheff, propriétaires du Château de Rosny

 - Acquis par le vendeur auprès des Tatistcheff.


Quelques usures à la patine (notamment rotule droite) et léger accident au flanc gauche.


Œuvre de référence :

-Michelangelo Buonarroti, Christ sur la croix entouré de deux anges se lamentant, 1538-1541, dessin sur papier, dim. :36,8 x 26,8 cm, Londres, British Museum, n°inv.1895,0915.504


Œuvres de comparaison :

- Attribué à Ferdinando Tacca d’après un modèle de Jean Bologne, Cristo vivo, statuette en bronze, H.26,5 cm 

(illustré p.1 de l’ouvrage de C. Avery et M. Hall, p.122)

-Attribué à un proche de Jean Bologne, peut-être Pietro Tacca, Cristo vivo, statuette en argent, H. 28, 2 cm 

(illustré p.1 de l’ouvrage de C. Avery et M. Hall, p.124)


Littérature en rapport :

-Ss dir Denis Allen , Italian Renaissance and Baroque Bronzes in The Metropolitan Museum of Art, 

The Metropolitan Museum of Art, 2022, notice 101, pp. 287-294 ;

-Vittoria Colonna e Michelangelo, 

catalogue de l’exposition tenu à la Casa Buonarrati, Florence, 2005, no. 49, pp. 165-6 ;

- Charles Avery et Michael Hall, Giambologna (1529-1608) La sculpture du Maitre et de ses successeurs. Collection de Michael Hall. Essais et catalogue par Charles Avery et Michael Hall , catalogue de l’exposition tenue à la Galerie Piltzer à Paris de mai à septembre 1999, Somogy, 1999, notice 29 p.122 et notice 30 p.124.


Le Christ est ici représenté au moment de son sacrifice, le regard implorant légèrement tourné vers le ciel. La composition subtilement serpentine de ce corps robuste renforce le dynamisme calme et la puissance apaisée de la figure christique. Cette représentation de Christ glorieux s’inspire du remarquable dessin de Michel-Ange daté des années 1538-1541 et conservé au British Museum à Londres. Ce dessin est généralement identifié comme le dessin de présentation d’une scène de Crucifixion réalisée pour sa confidente Vittoria Colonna (1490-1547), avec laquelle il partageait une intense correspondance spirituelle. Comme en témoignent les nombreux dessins et études encore conservés, l’intérêt de Michel-Ange pour la représentation de cette scène fondamentale de l’iconographie chrétienne a perduré tout au long de sa carrière, principalement dans les années 1530/1540 et dans les dernières années de sa vie. Le dessin du British Museum est devenu une image iconique de dévotion et de propagande de la Contre-Réforme. Il a été diffusé largement par la gravure (Giulio Bonasone, ca 1498-ca 1574), mais aussi par des copies dessinées (Giulio Clovio, 1498-1578) ou peintes, à l’instar de celle de Marcello Venusti (1512/1515 – 1579) dans la galerie Doria Pamphili à Rome. Bien qu’il n’existe aucune trace documentaire d’un modèle sculpté de la main du génie florentin se rattachant à ce dessin, il ne fait pas de toute qu’il a inspiré les générations suivantes de sculpteurs florentins. Ainsi on trouve un modèle de Cristo Vivo au même morphotype puissant dans l’œuvre du plus célèbre sculpteur maniériste de la cour des Médicis, Giambologna.                     

Estimation 8 000€-12 000€

 Invendu

Christ Florentin du XVIIe siècle




Si on s'interroge sur le lien qui unit une estimation à 300€-500€ pour un Christ adjugé 134 000€ et une estimation à 8 000€-12 000€ qui se solde par un Christ Invendu on conclut à l'absence de logique. On est dans le brouillard.

Cette absence de visibilité est nuisible à la confiance des Enchérisseurs ainsi qu'à celle des Vendeurs. 

Je propose de vous apporter quelques éclaircissements.

En 30 ans d'observations du Marché de l'Art j’ai peu souvent rencontré ce Modèle de Christ ce qui signifie qu’il n’a pas fait l’objet de multiples reproductions comme c’est le cas des Modèles de Christ attribués tantôt à Giambologna, tantôt à Susini, tantôt aux frères Tacca etc.  On peut donc en déduire avec une bonne probabilité que les exemplaires présentés à Rennes et à Versailles ne sont pas des copies produites au XIXe siècle et dans ce cas il ne faut pas craindre de les attribuer à la période dont ils portent les caractéristiques iconographiques, c’est-à-dire à la période du maniérisme d'inspiration italienne à la fin du XVIe siècle. C'est ce qu'a fait la SVV Versaillaise en attribuant le Christ au XVIIe siècle florentin, c'est ce que n'a pas fait la SVV Rennaise en attribuant le Christ au XVIIIe siècle. 

Le Christ est de type vivant comme l’est le Christ dessiné en 1541 par Michel-Ange. Le pied droit du Christ en position de rotation externe et la torsion qui anime le corps du Christ sont 2 caractéristiques des Christs produits à la fin du XVIe siècle sous l'influence du maniérisme. 

L'ancienneté de ce Modèle de Christ étant acquise l’estimation qui accompagne sa vente doit être du même ordre que les estimations qui accompagnent la vente de Christs du XVIIe/XVIIIe siècle qu’on attribue d’ordinaire à Giambologna, à Susini ou à Tacca, soit une fourchette d'estimations 1 500€-3 000€

La Fourchette d'estimations 300€-500€ fournie à la Vente du 19 octobre 2020 traduisait l'ignorance de la SVV Rennaise de l’ancienneté réelle du Christ et de sa rareté. 

J’ignore les motivations des Enchérisseurs qui ont poussé les enchères jusqu’au montant pharaonique de 134 000€. L'absence d'Enchérisseurs à 8 000€ à la Vente du 26 novembre 2023 à Versailles démontre l'aberration de l'enchère pharaonique atteinte à Rennes. 

Le Christ présenté à Versailles et resté Invendu est bien plus intéressant que celui vendu à Rennes compte tenu de son parcours s'il est avéré La Vente a échoué car l'estimation fournie était guidée par l’adjudication aberrante de 134 000€. L'Expert aurait du demeurer dans l’objectivité en présentant le Christ avec une estimation raisonnable et adaptée. Les Amateurs, j'aurais été parmi Eux, auraient fait le jeu normal des Enchères où Le plus motivé l'emporte.

A présent quelques photos de détails ...
Christ en bronze XVIIe siècle
Christ en bronze XVIIe siècle
Christ en bronze XVIIe siècle
Christ en bronze XVIIe siècle
Christ en bronze XVIIe siècle

Publié le 29 novembre 2023