Complicité de Forfaiture ?

Ivoire sculpté Monogramme et date au dos "EM Ft. anno 1660"

2019                   


 Faut-il donner foi à une inscription sur une œuvre d’art ?

  OUI si elle apparait en relief sur l'œuvre car la probabilité est grande qu’elle ait été réalisée en même temps que l’œuvre elle-même. 

Exemple ce  dont la signature apparait en relief sur le dos du perizonium. L’inscription a été sculptée par l’Ivoirier en même temps qu’il sculptait le dos.

 NON dans tous les autres cas sauf à avoir authentifié l’écriture ou la signature qui composerait l’inscription.

Pour autant cela ne signifie pas que l’inscription est erronée ...

Le Propriétaire d’une œuvre peut de son propre chef inscrire sur l'oeuvre qu'il a acquise,  pour mémoire ou pour transmission, le nom de l’Artiste qui l’a réalisée et/ou sa date de réalisation. Cette opération n’est pas reprochable si elle est faite conformément à la réalité.

Par contre, cette opération peut être qualifiée de tromperie voir de forfaiture s’il est établi que son but est d’induire en erreur par exemple dans le but de revendre l'Oeuvre et d'en tirer un meilleur prix.

Un Commissaire-Priseur a un devoir de prudence et de loyauté lorsqu’il établit le descriptif d’une oeuvre. Lorsqu'il est confronté à une œuvre où apparait une inscription, le Commissaire-Priseur doit redoubler de prudence et en cas de doute sur sa vraisemblance il ne doit pas hésiter à la contredire. 

Est-ce toujours le cas ?

Ivoire sculpté Monogramme et date au dos "EM Ft. anno 1660"

Dans un proche avenir, une Maison de Vente mettra aux enchères un Christ en Ivoire portant l’inscription « EM Ft. Anno 1660 »

Le descriptif établi par la Maison de Vente est libellé comme suit :

Christ

Ivoire sculpté

Monogramme et date au dos "EM Ft. anno 1660".

H. 58 cm.
€ 2500 – 3500

 La Maison de Vente limite son descriptif au recopiage fidèle de l’inscription lisible au dos du Christ en Ivoire. Elle ne fournit aucun commentaire sur cette inscription donc elle n’exprime aucun doute sur sa vraisemblance: Ft. Signifiant Faciebat, le descriptif induit que le Christ en Ivoire a été produit en 1660 par un dénommé EM.

 Cette lecture est fausse car ce Christ est techniquement une production mécanique de la fin du XIXe siècle voire du début du XXe siècle.

Le meilleur allié du Collectionneur étant le temps j’ai balayé mes archives constituées au fil des années à la recherche d’autres Christs en Ivoire dont les caractéristiques seraient similaires à ce Christ en Ivoire prétendument sculpté en 1660.

J’en ai trouvé 3 ... plus 2 autres !

Christ en Ivoire Daté 1659 au dos



 Le premier parmi les 3 Christs en Ivoire similaires que j'ai retrouvés dans mes archives portait la date de 1659.

La Maison de Vente l’a attribué à l’époque de Louis XIV et l’a adjugé 55 000 Francs en 2002 soit 8 385€ sur une estimation 50 000-60 000 Francs. 

Il mesurait 55 cm comme celui qui sera vendu prochainement.







Important Crucifix en Ivoire France vers 1670



 Le second a été vendu en 2009 et portait l’inscription BOUCHARDON F 1712. 

Curieusement (*) la Maison de Vente n’avait pas prêté foi à cette inscription. Elle l’avait vieilli et attribué à une Ecole française vers 1670

D’une hauteur moindre que le précédent soit environ 37cm, il était accompagné d’une fourchette d’estimations 25 000- 40 000€. Son acquéreur avait déboursé 28 350€ Frais inclus afin de l’emporter.


(*) La réalité est que la Maison de Vente avait vendu en 1999 un Christ similaire qui était gravé du monogramme TA et daté anno 1670. Alors, probablement pour ne pas se renier, elle a attribué ce Christ à la même année et a qualifié d'apocryphe l'inscription BOUCHARDON F 1712

 Pourquoi avoir qualifié d'apocryphe l'inscription BOUCHARDON F 1712 plutôt que l'inscription TA Ft anno 1670 ?






A Franco-Flemish, ivory crucifix, signed and dated: ED. Ft. anno. 1665



 Le troisième a été vendu en 2012 et portait l’inscription ED Ft anno 1665

A noter que la graphie de cette inscription est identique à celle du Christ qui sera vendu dans un avenir proche.

La Maison de Vente avait attribué ce Christ en Ivoire à une Ecole Franco-Flamande du XVIIe siècle.

D’une hauteur de 60 cm il était estimé 12 000-18 000€ et a été adjugé 16 250€ Frais inclus.

Le descriptif de ce Christ est accompagné d'une note où la Maison de Ventes signale qu'un Christ en Ivoire similaire a déjà été vendu par elle-même en 1985 



Avec le Christ vendu en 1999 et celui vendu en 1985 c'est donc la trace de 5 Christs issus du même modèle que j'ai retrouvés dans mes archives. 

Sachant qu'évidemment je ne collecte pas tous les Christs qui passent dans toutes les Maisons de Vente le nombre réel de Christs en Ivoire du même modèle qui sont apparus sur le Marché de l'Art ces 20 dernières années  est vraisemblablement beaucoup plus élevé.

Ce qui en soi constitue une preuve tangible de l'appartenance de ce modèle de Christ à une production du XIXe siècle. On ne saurait imaginer qu'autant de Christs d'une telle taille sculptés dans un matériau aussi fragile que l'ivoire nous soient parvenus en si grand nombre et en si parfait état depuis le XVIIe siècle.

D'autant qu'il faut rajouter à ce décompte tous les Christs du même modèle qui ne portent pas d'inscription et que je vais évoquer à présent ...

Au préalable et pour résumer : Toutes les maisons de Vente qui ont eu à vendre ce modèle de Christ en ivoire portant au revers uns inscription les ont attribués au XVIIe siècle. Malgré cette belle unanimité j'affirme que ces Christs en Ivoire ont été produits à la machine, finis et assemblés à la main. Ils sont issus d'un même modèle conçu pour une production mécanique de la fin du XIXe siècle voir du début du XXe siècle.

Je ne suis pas le seul à partager cet avis ...
Großer Corpus Christi in Elfenbein Wohl Italien, zweite Hälfte 19. Jahrhundert


En même temps que j'extrayais de mes archives les Christs en Ivoire du même modèle qui portaient une date au dos je découvrais un nombre significatif de Christs en Ivoire toujours issus du même modèle ou d'un modèle très proche sans inscription qui unanimement étaient attribués au XIXe siècle.

Exemple ce Christ en Ivoire vendu en 2012 par la célèbre Maison de Vente allemande Hampel à Munich. Ce Christ est toujours en ligne, vous pouvez le consulter en suivant ce lien.

Le Christ est attribué sans ambiguïté au XIXe siècle par la Maison de Vente, plus précisément à la 2ième moitié du XIXe siècle.

Le modèle est légèrement différent car le Christ verse de chaudes larmes et les pieds sont croisés. 

Cela n'est qu'un détail qui caractérise une fois de plus une production de la fin du XIXe siècle où les variantes sont nombreuses car elles sont aisées à mettre en production.

La preuve avec le Christ suivant qui conserve les chaudes larmes mais qui retrouve ses 2 jambes bien parallèles.





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Cristo in avorio crocifisso Girardon



Ce Christ présente une variante. 

Il se tient les jambes parallèles comme tous les Christs vendus avec une inscription au dos mais il verse les mêmes chaudes larmes que le Christ vendu par Hampel.

Un détail prête à sourire : au dos une main maline a inscrit le nom de Girardon. Une inscription suffisante pour que le Marchand qui proposait ce Christ à la vente l'attribue à .





CONCLUSION

Lorsqu'un Christ en Ivoire de ce modèle porte une inscription son Propriétaire et/ou son Intermédiaire expriment une même foi sans réserve à ce qui est inscrit. Ainsi, si la date évoque le XVIIe siècle, ils attribuent sans réserve le Christ au XVIIe siècle. A aucun instant ils n'envisagent que l'inscription est erronée.

A contrario, lorsque un Christ en Ivoire du même modèle ou d'un modèle similaire ne porte aucune inscription il est attribué au XIXe siècle. 

 Ne jamais prêter foi à une inscription gravée sur une oeuvre ancienne
au risque de verser de chaudes larmes.


Cristo in avorio crocifisso Girardon

Publié le 20 janvier 2019